
Thème 2 : Le voyage spatial de la Terre à la Lune dans les arts
Séance tenue par Matthieu Verrier le 4 novembre 2024 à l’INSPE Paris — Molitor
Cet article s’inscrit dans une continuité avec le précédent. Nous vous recommandons chaudement de lire notre contenu précédent avant de vous plonger dans la lecture de celui-ci.
Description du système solaire et du voyage spatial
La séance repose sur deux dossiers documentaires :
Un corpus de texte
Un corpus d’images
À partir de ces divers documents, nous allons vous transmettre, au travers de cet article, des connaissances culturelles et littéraires sur le thème du voyage spatial.
Les premières représentations occidentales de voyage vers la lune
Lucien de Samosate, Histoire véritable, IIe siècle apr. J.-C.
Introduction
Il est intéressant de s’interroger dans un premier temps sur le titre même de l’ouvrage que nous étudions ici, Histoire véritable. Ce titre, volontairement ironique, suggère une vérité qui contraste radicalement avec le contenu du texte, qui se présente comme une satire ou une parodie, revendiquée des récits de voyages et des épopées grecques.
Dans son texte, Lucien de Samosate
reprend des écrits antérieurs qu’il revisite sous un angle comique.
se moque de grands récits légendaires : L’Iliade et l’Odyssée, deux œuvres majeures du genre de l’épopée mythique. Ces œuvres qui, en effet, présentent les aventures des héros grecs et notamment Ulysse comme un récit vrai retraçant une sorte de récit historique commun à tous les Grecs.
Lucien de Samosate critique ainsi les récits anciens en suggérant qu’ils seraient fictifs. Il l’admet d’ailleurs : « Je raconte des faits que je n’ai pas vu, et il faut que les lecteurs n’en croient absolument rien. » Il reconnaît ici ouvertement son absence de savoir scientifique sur le sujet.
Le récit du voyage
La civilisation grecque est profondément marquée par sa proximité avec la mer, la nécessité de pouvoir naviguer qui s’est imposée rapidement pour les populations locales. Ainsi, lorsque Lucien de Samosate s’inspire des récits de voyages maritimes, il utilise les codes des récits de voyages maritimes propres à son époque :
Le protagoniste embarque avec 50 hommes à bord d’un bateau
Ils prennent la mer, poussés par une très grande curiosité pour découvrir le monde
Dans ce contexte, le voyage paraît banal, puisque le bateau est un moyen de déplacement courant. Cependant, le personnage principal ne cherche pas à retourner sur l’île d’Ithaque comme le héros mythique Ulysse. Au contraire, il tente d’aller au-delà du monde connu, en passant le détroit de Gibraltar, appelé à l’époque « les colonnes d’Hercule ».
Cependant, dans les épopées grecques, l’aventure en mer est souvent compromise par des épreuves divines, à l’instar de celles qu’Ulysse affronte face aux tempêtes provoquées par la colère de Poséidon. Dans notre texte, la violence de la tempête permet à l’embarcation d’atterrir sur la Lune. De plus, dans Histoires véritables, les colonnes d’Hercule symbolisent ici le passage vers l’inconnu, un monde imaginaire qui s’étend au-delà des frontières connues des Grecs.
Arrivée sur la lune
La description de la Lune dans Histoires véritables nous révèle une vision dans laquelle la Lune ressemble, selon l’auteur, à une sorte de Terre alternative. Lucien de Samosate la décrit comme une île sphérique qui est habitée, qui par certains aspects ressemble à une utopie. En surface, son récit semble décrire un monde fantastique, mais il s’agit en réalité d’un moyen de mettre en évidence les travers de la société humaine qu’il a lui-même observés. Il évoque en particulier les guerres incessantes entre les êtres humains.
Lucien de Samosate ne cherche pas ici à créer une description réaliste ou scientifique ; son objectif est de tisser une histoire légendaire qui lui permet de critiquer sa propre société de manière détournée. En effet, par certains aspects, on peut exprimer le fait qu’il utilise la Lune comme miroir de la Terre, en mettant en exergue des défauts relatifs aux êtres qui l’habitent.
Dans ce récit, Lucien de Samosate écrit une description de la vision de la Terre depuis la Lune. Cette description dévoile une envie pour l’auteur de découvrir la Terre vue depuis les cieux, ce qui pendant l’Antiquité est totalement impossible. D’ailleurs, cette même envie existe toujours aujourd’hui, comme nous l’avons mis en lumière dans notre article précédent, par le témoignage de la photo célèbre de la Terre prise par la sonde Cassini depuis Saturne à 1,4 milliard de kilomètres.
Des conflits inter-astres
Dans le texte, le roi de la Lune est un ancien Terrien nommé Endymion. Selon le récit, Endymion s’est endormi sur la Terre pour se réveiller un jour sur la Lune. On apprend également que le Soleil est habité, son dirigeant est un certain Phaëton.
Ces personnages sont des figures de la mythologie grecque, nous les aborderons plus en profondeur dans notre prochain article.
Dès leur arrivée sur la Lune, les voyages terrestres découvrent une guerre entre les peuples de la Lune et ceux du Soleil. Ainsi c’est l’aspect prompt à la guerre des êtres humains qui est mis en lumière par l’auteur sous forme d’une critique. Ce dernier décrit les habitants de ces astres comme une des sortes d’hybrides entre plusieurs animaux, les hybrides sont assez répandus dans la mythologie grecque, les chimères à la fois lion, chèvre et serpent en sont un exemple parmi d’autres. Ainsi, Lucien de Samosate décrit à nouveau un récit proche de leurs constructions des récits épiques grecques.
Le conflit entre les deux peuples est né de la volonté de chaque camp de s’approprier l’étoile du matin comme territoire. Cette guerre reflète la nature conquérante des hommes et la tendance à la rivalité pour la possession de terres. Cette problématique bien terrienne est transposée par Lucien de Samosate ici dans un contexte spatial.
Conclusion
Notre premier sujet d’étude est donc le récit de l’Antiquité qui parodie les codes des épopées homériques. Lucien s’amuse de l’imagination débridée pour critiquer les failles morales des humains, notamment leur pendant pour la guerre et la conquête.
b. Lucien de Samosate, Icaroménippe, IIe siècle apr. J.-C.
Dans ce second texte de Lucien de Samosate s’intéresse cette fois au Soleil. Le personnage principal de l’histoire est inspiré d’Icare, ce qui permet à l’auteur de revisiter le célèbre mythe grec. Dans celui-ci, Icare est le fils de Dédale, un grand inventeur. Pour satisfaire le désir de son fils, Dédale lui fabrique des ailes, mais l’avertit : il ne faut pas voler trop près du soleil, sinon la cire va fondre provoquant ainsi une chute mortelle. Toutefois, Icare n’écoute pas l’avertissement de son père et vole malgré tout trop près du Soleil, ce qui scelle son destin.
Lucien de Samosate reprend les grandes lignes de ce mythe. En effet, à force de s’approcher du Soleil, le personnage principal se retrouve piégé à sa surface. Ce dernier motivé par une soif d’apprendre s’entretient avec plusieurs scientifiques en quête de réponses à ses nombreuses questions malheureusement, aucun ne parvient à lui donner de réponses satisfaisantes pour cause, ils sont des charlatans. Sans réponse, le héros de cette histoire tente de trouver des solutions seul.
Dans sa frustration, il décide de mener seul ses recherches et d’apprendre par lui-même, en essayant d’aller sur la lune grâce à des ailes. Lucien illustre ici le désir humain de repousser les frontières de ses capacités naturelles. Les hommes maîtrisent le déplacement terrestre et grâce aux navires l’exploration des milieux aquatiques. Cependant, le vol leur reste inaccessible, un rêve inassouvi. De plus, le texte évoque également une perspective divine et inédite sur la Terre, qu’il qualifie de « Jupiter Homérique » en renvoyant à cette vue d’ensemble puissante et omnisciente que pourraient avoir les dieux.
En somme, ce texte nous propose un autre type de voyage spatial, non plus provoqué par un phénomène naturel comme une tempête, mais permis par une invention humaine inspirée de l’anatomie des oiseaux.
Synthèse des deux textes
En résumé ces deux récits sont construits autour d’un schéma similaire : l’un mène ses personnages vers la Lune l’autre vers le Soleil. Dans chacun, Lucien accorde une grande importance à la description des lieux et des circonstances du voyage, enrichissant ainsi ses récits d’une dimension quasi visuelle.
Cependant, la science, dans les deux textes, est totalement invraisemblable. Il ne s’agit pas encore de science-fiction, mais d’utopies où l’imaginaire sert avant tout à interroger la condition humaine. Lucien de Samosate utilise ces récits comme des exercices philosophiques, des mises à distance qui lui permettent de critiquer la société de son époque. Derrière le masque de la fantaisie et de l’aventure héroïque, il esquisse une satire mordante et intelligente des valeurs et des meneurs de son temps.
Au Moyen âge
Dans les récits médiévaux, que nous avons notamment abordés dans notre deuxième article, nous avions montré que les voyages vers la Lune s’inscrivaient dans une quête religieuse. En effet, ils symbolisent une forme d’aspiration à se rapprocher du ciel, et donc de Dieu. La Lune devient alors un lieu spirituel, un intermédiaire entre la Terre et le divin.
Cette vision n’est pas sans rappeler notre deuxième article de blog, dans lequel nous avions évoqué des tableaux représentant des êtres divins en train de monter vers les cieux. Cette idée se retrouve également dans plusieurs illustrations de l’époque, de la Divine comédie de Dante.
Comment le voyage vers la lune s’adosse à la science
Sous couvert de la fiction, des auteurs utilisent des récits comiques ou imaginaires pour exprimer leurs réflexions personnelles.
a. Le Songe de Johannes Kepler, 1634
Dans ce récit en latin, le personnage principal est initié à la sorcellerie par sa mère, ce qui lui permet d’entreprendre en voyage vers la Lune, ici nommée Levenia. Kepler se sert de cette histoire comme prétexte pour émettre des hypothèses personnelles sur la Lune et présenter ses propres interprétations astronomiques. En déguisant ses idées dans une fiction, il se protège des accusations de sorcellerie, qui étaient fréquentes à son époque.
L’histoire du Songe rappelle d’ailleurs la propre expérience de Kepler : sa mère, herboriste et guérisseuse, fut accusée de sorcellerie. Kepler dut se battre pour qu’elle échappe à la condamnation ; elle fait partie des rares femmes acquittées lors de tels procès. Cette période coïncide avec un climat où toute recherche en astronomie pouvait être perçue comme un acte de sorcellerie par l’Église, au point que Songe ne fut publié qu’à titre posthume pour éviter les risques de persécution.
b. L’homme dans la lune, Francis Godwin, 1638
Ce texte présente certaines similitudes avec l’ouvrage de Kepler évoqué à l’instant. En effet, il est également publié à titre posthume pour des raisons de sécurité. Dans ce récit, l’auteur aborde des théories qui pour son époque peuvent être dangereuses, notamment la gravitation ou encore l’héliocentrisme. Ce dernier point est une vision du monde où le Soleil, et non la Terre, serait au centre de l’univers, celle-ci est notamment mise en avant par Nicolas Copernic au XVIe siècle, cette conception s’opposait au géocentrisme soutenu par l’Église. Ainsi, évoquer l’héliocentrisme même sous forme de fiction peut être interprété comme une forme de défis envers l’Église, ce qui peut s’avérer dangereux comme en a conscience l’auteur.
En effet, Francis Godwin a vécu à la même époque que Galilée. De plus, il a reçu les enseignements du professeur Giordano Bruno, qui est un philosophe a été brûlé vif. Cette mort prématurée a été justifiée par l’Église, car il avait des idées contraires à cette dernière, notamment l’existence de plusieurs mondes et de plusieurs étoiles. Ainsi, Francis Godwin a été sensibilité au risque d’écrire et de penser à des théories trop éloignées de celle de l’Église. C’est d’ailleurs sûrement pour cette raison qu’il fait publier sa fiction à titre posthume et que son texte tente de masquer des concepts scientifiques derrière un récit imaginaire.
c. Cyrano de Bergerac, Histoire comique des États et empire de la lune, 1657 et Histoire comique des États et empire du soleil, 1657.
Examinons à présent les œuvres de Cyrano de Bergerac. Dès le titre de ses ouvrages, on peut établir un parallèle avec notre analyse précédente de Lucien de Samosate. En effet, les deux écrivains choisissent une structure à deux récits, l’un portant sur le Soleil, l’autre sur la Lune. Ces deux œuvres se distinguent par leur dimension comique et satirique, et ne visent donc pas à une rigueur scientifique. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les écrits de Cyrano de Bergerac ressemblent souvent davantage à des écrits fantastiques qu’à des écrits scientifiques.
Cependant, l’œuvre de Cyrano ne se réduit pas à une simple quête fantastique. En tant que penseur libertin, l’auteur est un peu plus éloigné des superstitions religieuses qui dominent son époque. Cette liberté d’esprit lui permet de questionner la place de la science face aux croyances et aux superstitions de son temps. Dans ses écrits, Cyrano aborde ainsi plusieurs thèmes qui pour son époque peuvent paraître audacieux :
Il propose des réflexions sur la gravité, suggérant que l’attraction entre corps célestes pourrait jouer un rôle dans la gravitation.
Il tourne en dérision les procès en sorcellerie, se présentant comme un scientifique et moquant ceux qui persécutent les penseurs indépendants.
Il critique l’Église, notamment à travers la figure du démon que cette dernière agite contre ceux qui osent penser librement.
Il met en garde contre ceux qui nient les progrès scientifiques.
Il ridiculise les croyances chrétiennes, évoquant par exemple un péché originel commis par son héros qui aurait, lui aussi, goûté au fruit défendu.
Cyrano explore aussi des concepts novateurs, comme l’idée de vide. À l’époque, la plupart refusent d’imaginer l’existence du vide, qu’ils considèrent comme une « horreur » ; mais Cyrano, en suggérant qu’un espace vide puisse exister et surtout en introduisant des notions d’héliocentrisme, se place en opposition directe avec la théologie officielle, qui affirme que Dieu a tout créé dans la matière. Cyrano propose une vision différente, où la matière s’assemble seule sous l’impulsion de l’amour, chaque chose cherchant son « pareil ». Cette conception s’écarte du texte de la Genèse et des doctrines religieuses.
Ainsi, Cyrano se protège en reprenant les codes comiques évoqués dans les textes précédents, tout en développant des concepts scientifiques avant-gardistes pour son époque et en ridiculisant la théologie, la réduisant à de simples superstitions.
d. Voltaire, Micromégas, conte philosophique 1752
Micromégas est un conte philosophique, c’est-à-dire un récit bref qui utilise des personnages fictifs et des aventures imaginaires pour transmettre une réflexion critique sur la société. Dans cette histoire, le personnage principal est Micromégas, un géant venant de la planète Sirius qui voyage dans l’univers pour découvrir d’autres formes de vie. Une fois qu’il arrive sur Terre, il observe les humains pour tenter de les comprendre. Cependant dans notre éctude, c’est surtout le moyen de transport de Micromégas qui nous intéresse.
En effet, sous couvert de fiction, Voltaire introduit plusieurs concepts scientifiques. Il connaît les lois de la gravitation, il explique que Micromégas utilise la « commodité d’une comète » pour se déplacer dans l’espace. Ainsi, c’est la force d’attraction de ces objets célestes qui est évoquée. En somme, nous retrouvons l’idée de s’appuyer sur la gravitation d’astres massifs, comme dans notre article précédent, pour permettre le déplacement des satellites notamment.
Dans les récits pour enfants et adolescents, les souvenirs des récits passés
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, 1946
Dans Le Petit Prince de Antoine de Saint-Exupéry, le personnage principal cherche à voyager de planète en planète. Pour se déplacer, il utilise plusieurs moyens de transport, notamment des oiseaux. Cet aspect n’est pas sans rappeler le personnage de l’Homme dans la Lune de Francis Godwin qui tente d’utiliser cette méthode pour quitter la Terre et atteindre la Lune.
De plus, le Petit Prince utilise aussi parfois des comètes en s’attachant à elles à l’instar du personnage de Micromégas dans l’œuvre éponyme de Voltaire, que nous avons également traitée plus tôt. En somme, en s’aidant de la force gravitationnelle des comètes, l’auteur évoque ici un principe de déplacement dans l’espace.
D’ailleurs, dans la littérature jeunesse, le thème de l’espace et les nombreuses questions suscitées par cet immense inconnu sont souvent explorés. Cependant, dans ce récit, ce n’est plus l’aspect purement scientifique qui est mis en avant car il est lié à une narration poétique et philosophique propre à l’œuvre du Petit Prince.
b. Tomi Ungerer, Jean de la Lune, 1966
Dans l’album de littérature jeunesse Jean de la Lune, Ungerer reprend le même principe d’un voyage inventif entre plusieurs planètes. Le personnage nommé Jean qui vit sur la Lune décide un jour de partir pour la planète Terre. Pour s’y déplacer, ils utilisent notamment les comètes, nous rappelant à nouveau Micromégas.
Ces exemples de fictions jeunesse illustrent ainsi l’idée que, pour les enfants, les objets de l’espace peuvent être perçus comme des moyens de locomotions.
c. Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou, de Cape et de crocs De la Lune à la Terre, 1995-2012
Une littérature intertextuelle
De Cape et de Crocs est une série de bandes dessinées qui met en scène un renard et un loup, tous deux personnifiés. Ces albums rendent hommage à la littérature du XVIIe siècle, avec des références à des œuvres de Molière, aux fables de La Fontaine et à Cyrano de Bergerac. Certains tomes, comme De la Lune à la Terre, Jean sans Lune ou Luna Incognita, abordent le thème du voyage dans l’espace et notamment celui vers la Lune.
La série se distingue par son intertextualité, c’est-à-dire la présence assumée de référence à d’autres œuvres de littérature qui sont clairement évoquées. Par exemple, dans De la Lune à la Terre, l’univers des personnages inclut des références directes aux écrits de Cyrano de Bergerac. Dans un autre extrait, le renard conseille à un savant fou de s’inspirer d’une idée tirée de l’œuvre de Cyrano de Bergerac pour créer une machine permettant de voyager vers la Lune.
La chute sur la Lune
La machine pour aller sur la Lune est un mélange d’un vaisseau et d’une sorte de boule remplie d’éther. À l’instar de l’œuvre de Cyrano, les protagonistes finissent par atterrir sur la Lune, attirés par la gravitation.
Le goût pour les machines et les explications scientifiques
La bande dessinée exprime une fascination importante pour les machines et les explications pseudoscientifiques.
Un schéma détaillé de la machine avec ses explications a pour but de crédibiliser l’histoire. Les personnages discutent du fonctionnement du vaisseau et tentent eux aussi de le comprendre. De plus, la représentation du décollage du vaisseau illustre le goût pour les machines et les explications scientifiques, propre à une partie de la littérature sur les voyages spatiaux.
Cet accent mis sur les machines et la difficulté à quitter la Terre se développe de manière plus approfondie chez Jules Verne.
Le roman d’anticipation et la science-fiction
Jules Verne, De la Terre à la Lune, 1865 et Autour de la Lune, 1870
Les récits sont souvent divisés en deux parties :
L’une traite de la préparation et du voyage pour aller sur la Lune : le fait de partir est une aventure en soi. Chez Jules Verne, ce voyage est transcrit dans De la Terre à la Lune
L’autre raconte ce qui se passe après l’atterrissage : Autour de la Lune chez Jules Verne.
Ces récits de Jules Verne marquent le début des romans d’anticipation et de science-fiction. À cette époque, de moins en moins de textes fantaisistes à la manière de Lucien de Samosate voient le jour. À partir de Jules Verne, les textes n’utilisent plus la fiction pour décrire des connaissances scientifiques nouvelles, mais ils se servent de connaissances scientifiques pour créer de la fiction en restant dans l’ordre du possible.
Dans De la Terre à la Lune, Jules Verne instaure un suspense en étirant le temps : les jours sont racontés comme des temps d’attente, autant pour les personnages que le lecteur, ensemble, ils attendent très inquiets des nouvelles du vaisseau, dont le sort n’est révélé que dans le tome suivant.
Le second tome, Autour de la Lune, raconte l’aventure lunaire dans laquelle les personnages sont bloqués autour de la Lune.
b. L’influence de Jules Verne dans la bande dessinée contemporaine : le cas du Château des étoiles
Jules Verne est une source essentielle de l’esthétique steampunk, qui combine l’esthétique souvent de l’époque victorienne, donc les technologies du XIXe siècle avec des éléments futuristes.
Le Château des Étoiles est une bande dessinée qui rend hommage à Jules Verne, notamment en utilisant cette esthétique steampunk.
L’ornementation de la couverture reprend le style des couvertures de Verne, une esthétique de la fin du XIXe siècle. Ce style est combiné à celui des récits de science-fiction, puisqu’on observe que Bismarck ressemble à Dark Vador dans Star Wars.
Le vaisseau et son fonctionnement
Que ce soit dans De Cape et de crocs, les textes de Cyrano de Bergerac ou de Jules Verne, la description de la machine est essentielle.
Des doubles pages sont souvent consacrées au schéma du vaisseau et à l’explication de son fonctionnement. On a une description très précise, jusqu’à la vie à bord :
La façon dont on se nourrit
Les réserves mises en place
Comment trouver de l’eau
L’effet recherché ici est clairement de crédibiliser une aventure impossible.
c. Les Aventures de Tintin : Hergé, Objectif Lune, 1950 et On a marché sur la Lune, 1953
Chez Tintin, comme chez Jules Verne, l’histoire découpée en deux ouvrages, ici deux tomes de bande dessinée écrite par Hergé. Il écrit cette histoire peu avant que l’homme ne marche sur la Lune, ces écrits anticipent finalement les événements qui arriveront bien dans le futur. Ils sont publiés dans un contexte d’effervescence autour du satellite Sputnik. La première partie Objectif Lune concerne la création de la fusée et des dangers liés au départ, tandis que la seconde partie concerne l’exploration lunaire.
On retrouve aussi un invariant : le schéma de l’appareil avec les explications pseudoscientifiques. Hergé s’est servi des connaissances de son temps pour rendre son récit le plus réaliste possible. Il s’appuie sur les connaissances de l’époque pour donner du réalisme, avec des péripéties et des gags autour de l’absence de gravité : Dupond et Dupont s’amusent à sauter sur la Lune, et le whisky du Capitaine Haddock se met à flotter dans les airs. Ce sont des situations qui sont cohérentes d’un point de vue scientifique, mais aussi du point de vue du récit. En somme, l’idée est de créer une forme d’humour à partir de fait scientifique.
À l’inverse Hergé peut aussi illustrer des dangers bien réels sur les risques de se perdre dans l’espace. Notamment lors de la scène où le Capitaine Haddock manque de se perdre dans l’espace.
Hergé fait tout de même des aménagements avec la réalité puisque le Capitaine est sauvé par Tintin avec une corde qui semble agir comme si elle était utilisée sur Terre : la réalité est aménagée pour créer quelque chose de compréhensible pour le lecteur.
Comme dans les écrits de Lucien de Samosate ou de Cyrano de Bergerac, on retrouve aussi ici, une contemplation de la Terre depuis la Lune avec des plans quasi cinématographiques.
Et au cinéma ?
Le cinéma ayant pour le cadre l’univers et l’espace, d’abord influencé par Jules Verne, s’efforce d’apporter une crédibilité croissante aux aventures spatiales.
a. Georges Méliès, Le Voyage dans la Lune, 1902
Le Voyage dans la Lune est un court métrage de science-fiction qui raconte l’histoire d’un groupe d’astronomes réalisant un voyage audacieux vers la Lune. Ils construisent un énorme obus spatial, envoyé vers la lune d’un canon géant.
Georges Méliès, après les frères Lumière, est l’un des premiers cinéastes, à passer par le documentaire. De plus, il est également l’un des grands inventeurs des effets spéciaux. D’ailleurs ceux qui sont la multitude d’effets spéciaux qui ont participé à la célébrité et l’engouement pour ce film.
Il s’inspire souvent sur des découvertes scientifiques et technologiques réelles, ce procédé de réalisation lui permet de rendre ses œuvres très plausibles et captivantes pour les amateurs de science-fiction. Parmi ces œuvres marquantes, on retrouve notamment un plan emblématique représentant la Terre, c’est un procédé récurrent dans les récits liés à l’observation de la Terre depuis la Lune, comme nous l’avons démontré plus tôt. Le plan de l’arrivée sur la lune, dans un obus, figure parmi les images les plus célèbres des débuts du cinéma.
b. Franklin J. Schaffner, La Planète des singes, 1968
La Planète des singes est un film de science-fiction qui relate l’histoire d’un astronaute américain qui atterrit sur une planète inconnue où les singes sont l’espèce dominante et où les humains sont réduits en esclavage.
Dans notre étude, nous portons une attention particulière au voyage de cet astronaute et de son équipage. La scène que nous étudions met en avant la réflexion de l’astronaute alors que son équipage est plongé en hibernation. Il s’interroge sur la nature profonde de l’humanité, remettant en question des traits fondamentaux tels que son penchant pour la guerre et sa capacité à ne pas éviter les conflits. Il souligne également le désintérêt marqué de l’Homme pour les problématiques de ses semblables, révélant un égocentrisme qui privilégie son propre bien-être au détriment de celui des autres. Cette dimension presque philosophique fait écho aux réflexions remarquablement similaires à celles formulées par Lucien de Samosate sur la nature et la philosophie de l’être humain.
Ainsi, tout comme dans la littérature, les œuvres de sciences-fictions peuvent à la fois interroger sur les capacités des êtres humains à utiliser la technologie et la science pour se déplacer dans l’espace, tout en remettant en question des traits de l’être humain.
c. Brian de Palma, Mission To mars, 2000
Le film met en scène une mission spatiale vers Mars qui tourne mal, le film aborde les thèmes de l’exploration spatiale et de la survie dans un univers hostile. Les personnages principaux sont envoyés dans une station spatiale pour une mission de très longue durée.
La scène qui nous intéresse particulièrement est un long plan-séquence, offrant aux spectateurs une vision d’ensemble du vaisseau et de la vie de son équipage. On y découvre notamment une salle de sport, conçue pour maintenir une activité physique essentielle pendant le voyage, une cafétéria qui semble conviviale, et des couchettes, qui évoquent une tentative de recréer une forme de normalité dans cet environnement spatial. L’ensemble donne l’impression d’une vaste maison flottant dans l’espace, adaptée à la cohabitation de l’équipage. Un détail marquant est l’appel au mégaphone pour le « cours de danse » qui renforce le réalisme de la scène et humanise davantage le quotidien des occupants du vaisseau. Ces moments rappellent, par certains aspects, les planches des bandes dessinées d’Hergé mettant en scène Tintin, où la routine et les activités des passagers de la fusée en route pour la Lune sont minutieusement décrites. Dans les deux cas, le procédé vise à mettre en avant un sentiment de réalité et de normalité dans un contexte pourtant extraordinaire.
Ainsi, ces séquences invitent le spectateur à réfléchir sur la place de l’humanité dans l’univers et sur les mystères de la vie au-delà des frontières terrestres.
Rédigé par : Océane & Chloée
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